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Glaner, oui ! Mais pas n’importe comment.

08.09.2025

Des oignons à perte de vue, des haricots bien verts oubliés par la machine, une caisse de pommes de terre à portée de main... La tentation est grande, le champ semble abandonné. Et si on glanait ? Mais attention : glaner ne veut pas dire piller. Sans autorisation, sans cadre et sans précautions, ce geste solidaire peut vite virer au malentendu. Voici comment glaner dans les règles de l’art.
Par Caroline Beauvois

Dans une époque marquée par l’inflation alimentaire et le gaspillage, le glanage revient en force. Légumes inaccessibles, difformes, trop petits… récolter ce que la machine ou l’agriculteur a laissé derrière lui séduit autant les écolos convaincus que les familles en difficulté. Mais derrière cette pratique en apparence simple se cache un cadre à respecter, entre bon sens, règles tacites et impératifs sanitaires.

(Illustration : Jean-François_Millet_-_Gleaners_-_Google_Art_Project_2)

« Le champ, c’est le jardin de l’agriculteur. »

Pour commencer, le glanage, ce n’est pas la cueillette libre-service sur le bord de la route.

« Cest le fait de récolter après la récolte les légumes et produits oubliés par les machines après une récolte. Et ça se fait avec lautorisation de lagriculteur, toujours », rappelle d’emblée Hadrien Gaullet, chargé de mission agriculture au Parc naturel Burdinale-Mehaigne.

Et ce même si la législation belge n’est pas très claire, note notre expert. Le vieux code rural de 1886 évoque un droit au glanage libre après la récolte, mais le code civil, lui, interdit toute entrée non autorisée sur une propriété privée. Résultat ? Mieux vaut oublier les interprétations floues : le glanage se pratique avec l’accord explicite de l’agriculteur. Point.

Et ce n’est pas seulement une question de politesse. C’est aussi une précaution sanitaire. Un champ récemment épandu de lisier, traité à l’herbicide ou déjà ressemé peut représenter un risque réel pour la santé. « Parfois, une céréale a été semée et ça ne se voit pas. Ou des produits phyto ont été pulvérisés. L’agriculteur est le seul à pouvoir vous dire si le glanage est sans danger… et autorisé. »

Une pratique toute l’année

Contrairement aux idées reçues, le glanage n’est pas réservé à l’automne. De juin à décembre, les occasions ne manquent pas : pois, épinards, pommes de terre, oignons, carottes, haricots, topinambours… Sans oublier les fraises parfois laissées en fin de saison ou les derniers fruits à jus, trop chères à récolter commercialement.

Entre 2018 et 2023, Hadrien Gaullet a d’ailleurs mené un projet intitulé « Ça glane pour moi, toi et nous », initié par le Groupe d’Action Locale (GAL) du parc.

Objectif : reconnecter agriculteurs et citoyens autour d’un glanage encadré et solidaire. Une part des récoltes était redistribuée à des ASBL ou des maisons d’enfants. Un bel exemple de glanage collectif réussi.

Glaner, oui, mais pas pour revendre

Rappelons aussi que le glanage est à but non lucratif. « Ce nest pas un stock pour faire de la revente », insiste Hadrien Gaullet.

D’un point de vue légal, mais aussi éthique, il s’adresse aux particuliers, pour leur propre consommation. Le revendre, c’est trahir la confiance de l’agriculteur et mettre en péril toute l’initiative.

Et s’il n’y a pas de quantité légale maximale, le bon sens doit prévaloir. « Jai déjà vu des glaneurs venir avec des remorques et ramasser des dizaines de kilos. Ça dépasse lidée dun usage raisonnable. »

Les règles d’or du glaneur responsable

Ces dernières années, le glanage a gagné en popularité, notamment via les réseaux sociaux : la page Facebook « Glanage & partage de jardins Belgique » rassemble aujourd’hui plus de 53.000 membres.

Mais cette explosion d’intérêt a aussi amené son lot de dérives : intrusions et rassemblements illégales, véhicules dans les champs, glaneurs sans gants ni précautions sanitaires…

Pour éviter les débordements, le Parc naturel Burdinale-Mehaigne a mis en ligne un guide pratique (PDF et vidéo, à retrouver sur leur site). Voici quelques-uns de ses principes clés :

  • Toujours demander l’autorisation de l’agriculteur, y compris quand un champ semble « abandonné».
  • Ne jamais glaner avant la récolte.
  • Ne jamais glaner derrière une machine encore en activité, c’est dangereux.
  • Ne pas venir en avance sur un créneau de glanage organisé.
  • Ne pas stationner n’importe où, surtout sur les chemins agricoles.
  • Bien se laver les mains et les légumes, porter des gants.
  • Éviter les plantes inconnues (certaines betteraves ou chicorées ne sont pas comestibles).
  • Éviter les zones proches des routes ou autoroutes, trop risquées pour les enfants notamment.
  • Ne pas relayer massivement une info sur les réseaux sans validation de l’

Où glaner?

Avant de foncer tête baissée, mieux vaut se renseigner localement. « La première étape, cest de contacter sa commune, recommande Hadrien Gaullet. Elles connaissent souvent des agriculteurs ouverts au glanage. Sinon, les Parcs naturels, les Groupes dAction Locale (GAL) ou les groupes Facebook spécialisés peuvent aider. » De nouvelles plateformes sont en train de voir le jour pour faciliter et structurer le glanage.

En Flandre, gleenie.org, créé par Emmanuel Ingelaere, met en relation agriculteurs et glaneurs en permettant de signaler les parcelles ouvertes, avec périodes et conditions d’accès. Après une phase pilote menée autour de Poperinge, le projet, enrichi par les retours d’expérience, est bientôt prêt à s’étendre à d’autres régions, avec des contenus clarifiés pour accompagner à la fois les agriculteurs et les volontaires souhaitant organiser un glanage. « Lannée prochaine, nous comptons développer activement le projet en dehors des frontières de Poperinge. » La plateforme propose aussi différentes formules, allant du glanage gratuit à une participation fixée par l’agriculteur via un système de QR code.

En Wallonie, un nouveau site ne demande qu’à se faire connaitre : jeglane.be, lancé par le glaneur Clément Rigo : un site collaboratif gratuit doté d’une carte interactive destinée à recenser les lieux de glanage en Belgique et à être enrichie par la communauté.

Un lien à retisser

Plus qu’une simple récolte gratuite, le glanage est l’occasion de retisser un lien direct avec le sol, les saisons, les producteurs. Il offre à chacun, quel que soit son profil, la possibilité de toucher du doigt la réalité agricole. « Des gens pensaient que les haricots poussaient dans la terre », sourit Hadrien Gaullet. « Cest dire à quel point on a perdu le contact. »

« Les événements de glanage ne préviennent pas seulement le gaspillage alimentaire, ils créent aussi des liens sociaux : récolter ensemble, puis partager la récolte autour dun café ou dun jus de fruit, est une belle manière de rassembler des personnes issues de différents horizons », commente Emmanuel Ingelaere. Et lorsque la récolte est trop abondante, nous collaborons avec les banques alimentaires locales, qui sont très heureuses de recevoir des fruits ou légumes supplémentaires. »

Respectueux, organisé et bien encadré, le glanage peut devenir bien plus qu’un geste économe : un acte engagé, solidaire et profondément humain.

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